Depuis que tout cela a commencé, vous avez totalement placé votre confiance dans l’équipe de soignants qui s’est occupée de vous. D’abord le médecin, qui vous a communiqué toutes les informations depuis l’annonce de la maladie, puis toute l’équipe qui vous entoure à chaque fois que vous venez à l’hôpital. Vous avez donc accepté d’aller d’examen en examen et il y en a eu beaucoup ! Vous avez accepté d’aller de bilan en chimiothérapie… Mais aujourd’hui, cela commence à être « trop » : vous avez besoin de craquer. Et ce désir de vous laisser aller se manifeste par le biais de ce que vous sentez avoir encore en votre pouvoir : le traitement.
Qu’est-ce qui se passe dans ma tête ?
La volonté d’arrêter le traitement revêt souvent un sens caché : agir ainsi vous permet de vérifier que vous gardez bien le contrôle sur votre vie, un sentiment de liberté, ce qui n’est plus si évident depuis que vous avez commencé le parcours de soins.
En d’autres termes, arrêter le traitement, c’est pour vous une façon d’exprimer que vous n’êtes pas un objet. Vous avez encore un libre arbitre, et la capacité de faire des choix. Mais votre souffrance actuelle est sans doute liée à un fort ressenti de passivité en ce moment. En refusant le traitement, vous refusez de vous sentir comme une personne impuissante et passive. Depuis le début, vous n’avez jamais refusé un examen, même les plus pénibles, ni de venir en cure de chimiothérapie, ou encore en séance de radiothérapie. Vous soigner est véritablement devenu un travail à part entière en termes d’investissement. Cela vous prend tout votre temps et votre énergie.
Mais voilà, ces derniers temps vous avez tendance à vous sentir enfermé dans tout cela, comme un prisonnier qu’on déplace d’une cellule à une autre, sans qu’il ait réellement son avis à donner. Vous avez été « patient » pendant si longtemps, mais c’est devenu insupportable désormais.
Il faut parfois poser un genou à terre, pour se relever ensuite et s’autoriser à aller plus loin.
La fatigue, les angoisses ou encore les traitements : il n’est pas simple de poursuivre ou d’avoir des projets. Et pourtant, voyager, acheter une maison, ou encore aller au restaurant avec ses amis par exemple reste tout à fait envisageable, même avec un cancer. Car c’est vrai, l’une des grandes qualités de vivre, c’est de nourrir des projets. C’est ce qui nous rend libres, comme le dit Jean-Paul Sartre. C’est sans doute d’ailleurs ce que vous faisiez avant tout ça, avant la maladie, avant l’hôpital et les blouses blanches. Cela fait un certain temps que vous ne vous autorisez pas à voir trop loin, guère plus loin par exemple que votre prochain examen médical. Mais trop loin c’est quand au juste ?
Mais alors, comment prévoir encore des choses ?
Petits projets, grand projets, l’être humain a besoin d’envoyer son intention dans l’avenir, qui comporte lui tous les possibles : les bonnes surprises aussi. Même si ce que vous traversez depuis l’annonce du diagnostic peut être très angoissant, parler de la mort, ça n’est pas mourir.
Vous avez été en contact pendant l’annonce avec une vérité que nous mettons assez loin de nous, loin de notre vie et de nos expériences, tant que tout se passe globalement comme nous l’avions prévu. Mais le mot cancer est davantage lié à tout ce qui n’est pas prévu dans notre vie, plutôt qu’à la mort en elle-même. Ce mot difficile à entendre est venu vous poser cette question importante :
« Comment êtes-vous capable de vivre lorsque vous ne pouvez pas obtenir de certitudes ? ».
Et cette question nous renvoie à un préliminaire fondamental concernant notre capacité à faire des projets : avez-vous plutôt tendance à projeter de bonnes choses dans le futur, des prédictions qui vont vous aider à vous sentir bien, ou au contraire, de mauvaises idées, qui pourraient vous immobiliser sur place et vous voler des ressources plutôt que vous en donner ?
À l’intérieur de tout ce que vous projetez dans l’avenir, il existe soit une composante positive, soit une composante négative. On appelle cela être pessimiste ou optimiste, comme vous le savez certainement. Voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. C’est vrai qu’il est beaucoup moins facile de se projeter lorsque l’on voit tous les jours le verre à moitié vide ! Et peut-être que c’est ce que vous avez eu tendance à faire, depuis l’annonce, même si vous n’étiez pas comme cela avant.
Il faut bien que vous sachiez que, comme Blaise Pascal l’encourage dans sa philosophie, l’espoir est un pari que l’on ne perd jamais. C’est-à-dire qu’il vous fournira toujours toutes les ressources dont vous aurez besoin au moment présent, lorsque vous en avez besoin.
Les pessimistes et les optimistes eux aussi font donc des projets. Les premiers pensent que tout ira mal et les seconds pensent l’inverse : tout ira bien quoi qu’il arrive. En vérité, les deux se trompent, car personne ne peut prédire avec certitude ce qui peut se passer demain, ou même dans cinq minutes. C’est exactement ce qui vous a été révélé par la vie le jour de l’annonce. C’est pour cela que vous vous êtes senti bouleversé, bien qu’aujourd’hui vous soyez muni de cette connaissance.
Pessimistes et optimistes se trompent donc tous les deux de la même façon ! Mais la grosse différence qui existe entre les deux est la suivante : les pessimistes souffrent tout le temps et les optimistes quant à eux ne souffrent qu’à la fin. Et encore, pas tout le temps ! Car souvent ils avaient raison d’y croire…
Les premiers se coupent donc de toute capacité à faire des projets et les seconds ont toutes les cartes en main pour orchestrer leur avenir. Tout reste toujours possible : voilà bien l’une des choses qui n’ont pas changé depuis l’apparition de la maladie.